Charité bien ordonnée

 

Au lycée, il y a longtemps, je prenais grand plaisir aux dissertations. La meilleure façon de ne pas être hors sujet était de reprendre les termes de l’énoncé, puis de développer en envisageant les différentes significations, vraisemblables dans le contexte. “Charité bien ordonnée”, ça donne quoi en relation d’aide ?

 

“Charité”, subst.féminin : 1.«amour de Dieu et du prochain», 2.«don, aumône», 3.«complaisance, bonté ». Francisation du lat. caritas, -atis («cherté»), «amour, tendresse».

“Ordonner”, I. 1.«disposer dans un certain ordre», 2.«soumettre à une règle ses actions, sa conduite», 3.«régler, organiser le déroulement de quelque chose», 4.«classer méthodiquement, ranger dans un ordre satisfaisant pour l’esprit» II. 1.«établir quelqu’un dans un état», 2.«lui conférer le sacrement de l’ordre» III. 1.«commander», 2.«rendre une ordonnance judiciaire en jugement», 3.«prescrire un remède», 4.«donner l’ordre de payer», ordĭnare «mettre en ordre; arranger, disposer en ordre régulier».

(Source : Centre national de ressources textuelles et lexicales, CNRTL)

La “charité bien ordonnée” pourrait donc faire référence, en relation d’aide, au don d’amour/de bonté selon un ordre (classement)/ordre (commandement) satisfaisant. Quelle ambivalence! Il y a aussi le don sur ordonnance, comme un remède… Décidément, la langue française joue sur les mots.

Tous les sens convergent

Dans ma pratique(1), je (re)découvre avec gratitude ces termes et leur expression exacte: “Charité bien ordonnée commence par soi-même”. Cette charité-là est la capacité de chacun à s’aimer, à s’accepter. Elle existe au tout début de la vie mais a souvent été malmenée, oubliée, reléguée, niée… Cette charité-là, c’est aussi se faire grâce, reconnaître en soi la part de spiritualité, se donner le choix, s’autoriser la liberté fondamentale d’exister.

La charité bien ordonnée, c’est la bienveillance envers soi

La charité bien ordonnée est à l’opposé de l’égoïsme. Au contraire, c’est ouvrir les yeux sur soi, sur ses parts de lumière et de souffrance, c’est pouvoir les vivre sans accuser l’autre. C’est aussi reconnaître ces parts-là en l’autre.

Encore une fois, qui mieux que Carl Rogers pour décrire le processus de cette expérimentation, de cette prise de risque qu’est d’oser se faire la charité?

“Lorsque les personnes sont acceptées et estimées, elles ont tendance à être davantage bienveillantes vis-à-vis d’elles-mêmes. Lorsque les personnes sont entendues avec empathie, elles peuvent écouter avec plus de justesse le flot de leurs experiencings* internes. Dans la mesure où une personne comprend et estime son propre soi, le soi devient plus congruent avec les experiencings*. La personne devient plus réelle, plus authentique. Ces tendances, [en réciprocité des] attitudes du thérapeute, permettent à la personne d’être un acteur encore plus efficace dans l’accomplissement de son propre développement. A être vraie et totalement elle-même la personne jouit d’une plus grande liberté.” Carl Rogers
*experiencing : ce qui se passe, l’expérimentation

Illustration : La joie de vivre, Pablo Picasso (1946) [DR]